Confinement rime-t-il avec effondrement ?

 Le Suisse Yves Citton co-directeur de la revue Multitudes et l’Italien Jacopo Rasmi qui enseigne le cinéma à l’université de Lorraine nous proposent une réflexion inédite autour de la question :  » Confinement rime-t-il avec effondrement ? «  

Confinement rime-t-il avec effondrement ? Oui et non. Non, parce que nous avons toujours du pétrole (meilleur marché que jamais) pour que les camions amènent du riz et des légumes à l’épicerie du coin. Non, parce que l’électricité continue à faire mouliner (plus que jamais) serveurs et ordinateurs. Les scènes d’étagères vides dans nos supermarchés nous donnent un petit frisson d’effondrement, sans nous exposer à ses véritables angoisses. Au pire, nous en vivons une répétition générale… 

Qui sait toutefois quel sera le contrecoup de cette suspension provisoire de notre furie productivo-consumériste ? Faillites en cascades dès l’été 2020 ? Crash financier ? Panique bancaire ?

Ces hantises de L’Effondrement, conjugué au singulier et au futur, nous aveuglent plutôt qu’elles ne nous éclairent. Davantage que comme une répétition générale, le confinement apparaît plutôt comme un révélateur des effondrements déjà en cours – qu’on peut décliner sous au moins trois horizons.

À court terme, la « guerre » déclarée par nos dirigeants contre le coronavirus nous mobilise sur le front d’une bataille qui se mène héroïquement dans ces hôpitaux dont on méprisait les demandes il y a seulement quelques semaines. Mais les guerres, ce sont aussi des pillages, des famines et des viols. Le Covid-19 fait remonter à la surface le quotidien des migrant·es, des prisonnier·es, des travailleuses précaires, des sans-abris, mais aussi des pays moins riches et moins équipés. Notre confinement lui-même est un luxe, inaccessible à qui n’a pas de maison, de moyens de communication ou d’eau potable. Le virus révèle les effondrements quotidiens – dans et entre les sociétés – que nous parvenons de plus en plus mal à balayer sous le tapis.

À moyen terme, on peut espérer voir le virus accélérer l’effondrement de l’idéologie néolibérale. 

La « rationalité » économique qui « optimise » tout et n’importe quoi, en pressurisant à l’infini le « coût du travail » et l’exploitation des « ressources humaines », paraît bien peu raisonnable. La voilà qui fait exploser aujourd’hui les lois d’une austérité dont la nécessité absolue était hier indiscutable : on annonce désormais un inédit droit au chômage généralisé, après avoir rendu toujours plus restrictif le régime préexistant.

À plus long terme, ce n’est pas seulement une idéologie politique (le néolibéralisme) qui révèle son caractère insoutenable, mais tout un régime de production et de consommation (l’extractivisme) qui s’écrase sous son propre poids. Ce qui s’effondre, c’est le règne auto-destructeur de la cheap nature, « la nature à bon marché ». Toute une jeunesse internationale s’y oppose, en défilant pacifiquement les vendredis pour le climat. Nous devons toutes et tous lui emboîter le pas, pour que s’effondre ce qui nous effondre.

Le virus est notre ennemi dans la guerre sanitaire à court terme, mais il pourrait bien être notre allié dans nos mutations socio-écologiques de plus long terme. Au-delà de la gestion autoritaire de la menace actuelle, notre avenir post-Covid-19 s’écrit dès aujourd’hui dans ce que nous ferons collectivement de qui nous arrive. À nous de profiter du confinement et de son lendemain pour devenir collapsonautes, en apprenant à naviguer sur les effondrements de notre présent.

Yves Citton et Jacopo Rasmi viennent de publier au Seuil l’ouvrage Générations collapsonautes. Naviguer par temps d’effondrements dans la collection « La couleur des idées ». Le livre est sorti une dizaine de jours avant que ne ferment les librairies …

source : Coronavirus : envisager déjà la sortie ?25/03/2020 (MIS À JOUR À 18:17)Par Emmanuel Laurentin et Chloë Cambreling